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Lettre ouverte au président de la République

Monsieur le Président,
Je vous fais une lettre
Que vous lirez peut-être
Si vous avez le temps....


Paroles d'évidence, paroles d'urgence, paroles qui s'imposent en ce début d'année 2011, quand les bilans et les satisfecit des autorités se succèdent ; pas plus que nous, vous n'en êtes dupe.

Nous n'acceptons pas de voir la sécurité de 65 millions de Français sur les routes dépendre d'une bonne ou mauvaise météo, d'un problème d'approvisionnement en carburant ou des oscillations du prix du pétrole.

Nous n'acceptons pas d'entendre des propos de butors qui déshonorent l'Assemblée Nationale, ni d'être contraints d'assister à une mascarade programmée qui ne trompe personne. Nous ne sommes pas sortis indemnes de cette séance indigne de l'Hémicycle . Nous avons été humiliés, rabaissés par l'indigence des discours de quelques députés, la médiocrité des débats. Mais les casseurs du permis à points ont parachevé leur forfait au Sénat. Votre ministre de l'Intérieur ne s'était pas déplacé pour la dernière phase de cette entreprise de démolition. Quelques sénateurs réalisaient que leur main aurait dû trembler au moment de modifier les équilibres du permis à points, mais bredouillant des protestations de bonne foi en faveur de la sécurité routière, ils ont levé le bras pour adopter les articles destructeurs, se gardant bien de parler de l'achat annuel de récupération de 4 points, quelle que soit la gravité de la faute commise. Depuis 1972, toutes les mesures votées avaient amélioré la sécurité sur nos routes, aucune n'avait signé un tel retour en arrière.

Nous n'acceptons plus les concertations-alibis, les commissions Théodule, les tergiversations sans fin, et souscrivons entièrement aux propos de quatre de vos Secrétaires d'Etat : « Ce qui a le plus décrédibilisé la politique par le passé, c'est l'inaction et l'irresponsabilité. Il est facile de contourner les difficultés, de commander un rapport, une mission, pour tenter d'enterrer les difficultés ! Nous ne prétendons pas avoir raison sur tout, mais la marque de fabrique de notre exigence reste celle de l'action volontaire.»

Monsieur le Président, vous qui avez demandé à votre ministre de l'Intérieur « de relancer avec beaucoup d'énergie la lutte contre la délinquance routière », vous qui savez que la traque « des assassins de la route » a signé l'échec du gouvernement de Lionel Jospin, vous qui savez, comme nous, qu'il faut empêcher les citoyens, tous les « honnêtes citoyens », de jouer avec les règles du code de la route, vous qui n'avez pas su, ou pu ou voulu, vous opposer avec fermeté à toutes ces attaques répétées depuis des mois contre un système qui n'a qu'un seul tort, considérer que les notables sont des justiciables comme les autres, nous vous pressons d'intervenir dans cette pagaille ambiante généralisée, de résister aux demandes clientélistes de minorités perverties par leurs intérêts.

Monsieur le Président, dans votre discours du 31 décembre, vous nous avez dit que : « 2011 doit être une année utile pour les Français. La difficulté ne compte pas lorsque sont en jeu l'intérêt de la nation et le bien commun des Français. Mon devoir est de privilégier en toutes circonstances l'intérêt général. Jusqu'à la dernière minute de mon mandat je n'aurai d'autre règle que celle-là ».
Monsieur le Président, quand vous lirez ces lignes, vous connaîtrez l'étendue du drame provoqué par l'irresponsabilité politique, la démagogie et l'incompétence. Nous vous demandons, au nom de l'intérêt de tous, de mettre en place la même méthode que celle qui fut à l'origine du dispositif de 2002 : sa qualité et son succès, nous les devons aux hommes dont la valeur, la compétence et l'enthousiasme faisaient fi de toutes les adversités et inerties. Chacun, dans son rôle, était l'élément-clé d'une réussite commune. Comme tous ceux qui ont partagé ces moments d'exception, nous vivons maintenant avec d'autant plus d'amertume le concours de médiocrité ouvert au sein de l'Etat. Le désordre s'est installé dans les esprits et vous devez mettre un terme à cette dérive.
Monsieur le Président, comment pouvez-vous nous rassurer en faisant dire par votre porte-parole à l'issue du Conseil des ministres du 26 janvier 2011, que vous n'accepterez « aucune inflexion en matière de lutte contre l'insécurité routière, je dis bien aucune inflexion de quelque nature que ce soit », alors que vous avez laissé votre majorité diviser par deux la capacité de dissuasion du permis à points. Le désastre annoncé par les experts et programmé par le Parlement ne saurait hélas tarder, vue l'ampleur des dégâts causés par les casseurs du permis à points. Les chiffres ne pardonnent jamais les erreurs, les manquements, les abandons des décideurs dans cette lutte incessante contre ceux qui veulent s'affranchir des règles.

Monsieur le Président, il est nécessaire de retrouver la sérénité et la méthode qui ont fait leur preuve en 2002, pour tenter de minimiser les conséquences de l'erreur impardonnable de la casse du permis à points. Il y a une expertise accidentologique de qualité dans notre pays, qui permet d'exclure des débats et des prises de décision, toute la désinformation distillée par les accidentologues du café du commerce. Il vous faut remplacer dans l'équipe en charge de ce dossier tous les éléments qui ont failli ou se sont contentés de faire de la figuration. Il y a des erreurs de casting qui laissent pour le moins perplexes ! Les Français ne peuvent se nourrir de discours lénifiants (adjectif choisi par pure civilité), ni d'appels incantatoires à la responsabilité de tous. Les approches simplistes agacent plus qu'elles n'incitent à des changements de comportement.
Monsieur le Président, vous venez de rappeler l'objectif que vous avez fixé pour 2012. Il vous faudra alors ne plus subir mais contrer les casseurs. Déjà, ils se flattent dans les medias d'avoir réussi leur coup qui ne serait que le premier d'une longue série promise. Introduire une cause de morts supplémentaires dans une loi destinée à traiter de la sécurité était un véritable défi au bon sens !
Monsieur le Président, vous désirez montrer aux Français - et les medias s'en font souvent l'écho - votre compassion et votre empathie pour les familles durement éprouvées, en les recevant dans votre résidence. Nous vous demandons d'imaginer, après ces jours de fêtes familiales, la cour du Palais de l'Elysée, peuplée de quelques centaines de personnes silencieuses, happées, englouties dans l'horreur. Elles sont en droit de penser que la poursuite sans faiblesse de la politique de sécurité routière initiée par Jacques Chirac aurait pu leur éviter d'être spoliées de leur bonheur.


Je dédie ce numéro de Pondération à Anthony, tué à 17 ans, près de Lannemezan, en novembre dernier, par un homme qui n'avait plus son permis. Si la voiture de cet asocial, condamné à trois reprises, dont deux fois pour un problème d'alcool, lui avait été confisquée automatiquement, Anthony serait en vie. Il aura fallu deux ans pour que cette décision annoncée au CISR de février 2008 soit enfin votée. Quel gâchis. Quelle honte.


Chantal Perrichon
Présidente de la Ligue contre la violence routière

(1) -Paroles du Déserteur de Boris Vian, 1954
(2) - 16 décembre 2010
(3) - B. Apparu, C. Jouanno, N. Kosciusko-Morizet, L. Wauquiez, « Sûrs de nos valeurs pour une politique moderne. Face à la décrédibilisation de l'action politique, la réponse de quatre secrétaires d'État », Le Monde, 1er septembre 2010.

Réponse de François Hollande