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ImprimerAnalyse de l'amendement du Sénat à la LOPPSI 2 visant à réduire les contraintes que le permis à points exerce sur les usagers
Origine : Claude GOT le 21 septembre 2010
Avertissement
Cette note a été rédigée à la demande de la présidente de la Ligue contre la violence routière. Elle peut être diffusée librement par cette association, tout en demeurant un document personnel dont j'assume la responsabilité.
. Il y a une double motivation à développer une analyse complète de cette mesure :
- Elle est en contradiction avec la politique de sécurité routière et il faut expliquer pourquoi, notamment pour convaincre l'Assemblée Nationale de la refuser
- Elle est particulièrement adaptée à un exercice de travaux pratiques permettant d'aider ceux qui sont concernés par la sécurité routière à lutter contre la manipulation des faits et une propagande qui se développe sans le moindre respect de la réalité. La perte de toute sincérité et de références méthodologiques au sein d'une assemblée parlementaire est un risque majeur pour notre démocratie.
1. Quelle analyse peut-on réaliser à la suite des travaux du Sénat ?
a. Sur la relation entre la suppression du permis faute de points et la conduite sans permis.
Les objectifs des auteurs de l'amendement ne sont pas des objectifs de sécurité routière. Il était présenté avec la justification suivante :
« Cet aménagement n'est pas contraire à l'esprit du texte examiné mais bien au contraire, la diminution des délais répond à la volonté de restreindre les cas de conduite sans permis ainsi que le trafic de points de plus en plus courant. »
Lors du débat, plusieurs phrases prononcées par Alain Fouché ont ajouté l'intention de modifier l'équilibre entre la répression et la « compréhension ».
« En 2009, 112 000 automobilistes contrôlés ne possédaient pas de permis de conduire. L'Observatoire national interministériel de sécurité routière estime que 300 000 conducteurs sont dans ce cas. Il me paraît nécessaire de prendre acte de cette réalité, et le présent texte est l'occasion d'élaborer une réponse adaptée à ce phénomène ».
Là encore, il ne s'agit pas d'alléger la sanction, mais simplement de l'adapter à la réalité des faits. Cette réalité, c'est la banalisation de la conduite sans permis, parce que les conducteurs sont découragés par une répression sévère, ainsi que par la complexité et le coût des recours juridiques.
L'auteur de l'amendement :
- établit un lien entre la suppression de points de permis aboutissant à son annulation et la conduite sans permis,
- fait l'hypothèse que son amendement va réduire la conduite sans permis.
Il est facile de détruire ces affirmations en utilisant des données disponibles, établies par l'ONISR. Elles n'ont pas été reproduites par les auteurs de l'amendement et cela suffit à disqualifier ces derniers. Ils n'ont pas voulu éclairer le Sénat sur les connaissances objectives de la conduite sans permis.
Les trois-quarts des conducteurs impliqués dans un accident et qui n'ont pas de permis n'ont jamais possédé ce document, cette majorité des cas n'est donc pas concernée par le permis à points. Le dernier quart a un permis supprimé ou suspendu. Dans ce groupe, l'association très fréquente a un problème d'alcool et l'absence d'assurance indique un contexte très particulier. Ces conducteurs sont sous le coup d'une interdiction de conduire de longue durée, par une décision de la justice pénale et non par une décision administrative, le plus souvent à la suite d'un accident provoqué en état d'imprégnation alcoolique. Si les auteurs de l'amendement avaient voulu connaître avec précision la proportion de conducteurs sans permis après une annulation faute de points, ils devaient demander à l'ONISR de faire procéder à une étude très simple. L'identification dans les bulletins statistiques d'analyse d'accidents corporels d'une conduite après suspension ou invalidation de permis permettait de remonter au niveau de l'unité de police ou de gendarmerie qui a constaté les faits pour connaître les motifs de l'absence de permis. Ils n'étaient évidemment pas désireux de soutenir leur amendement avec l'indication que la mesure concernait quelques pour cent des conducteurs sans permis ! Réduire l'efficacité du permis à points pour un enjeu aussi faible supprimait toute justification à leur amendement.
Une autre évaluation produit des résultats qui s'accordent avec les précédents. Le nombre de permis supprimés du fait du dispositif de permis à points est maintenant stabilisé à un niveau légèrement inférieur à 100 000 par an. Un nouveau permis pouvant être obtenu après six mois d'annulation et ce processus d'annulation et de récupération se répartissant sur toute l'année, le nombre d'usagers privés à un moment donné de permis à la suite de sa suppression faute de points est inférieur à 50 000. Tous les conducteurs qui se trouvent dans cette situation ne conduisent pas, compte tenu de la sévérité des sanctions encourues.
L'amendement proposé n'aura donc qu'une efficacité très faible sur la conduite sans permis, à la mesure de la faible proportion de conducteurs qui se retrouvent dans cette situation à la suite d'une annulation faute de points (entre un et deux conducteurs sur mille). Si l'on veut lutter contre la conduite sans permis, il convient de faciliter l'accès au permis de conduire des jeunes conducteurs avec un système de bourses (et non de prêts remboursables) et d'instaurer une surveillance effective du respect de l'interdiction de conduite pour les conducteurs privés de permis pour une durée longue à la suite d'accidents en état d'imprégnation alcoolique. C'est dans ce domaine que la confiscation obligatoire du véhicule est une protection pour la personne dépendante, pour ses proches et pour l'ensemble des usagers.
Il est donc évident que l'amendement adopté ne peut réduire la conduite sans permis de façon significative.
b. Sur l'intérêt de réduire l'intensité de la répression par le permis à point
Il est nécessaire là encore de se reporter aux citations des auteurs de l'amendement. C'est au cours des débats qu'ils ont fait apparaître clairement la volonté de réduire la contrainte exercée par le permis à points sur les usagers, ce qui n'était pas le cas dans le texte écrit accompagnant l'amendement :
Trouvons un équilibre entre répression et compréhension au regard de la situation personnelle du conducteur dans les cas de faible excès de vitesse, d'usage d'un téléphone portable au volant, de défaut de ceinture de sécurité, etc.
Sanctionner est une chose, mais que la sanction entraîne des conséquences néfastes pour le conducteur n'a ni intérêt ni sens sur le plan de la répression.
Là encore, il ne s'agit pas d'alléger la sanction, mais simplement de l'adapter à la réalité des faits. Cette réalité, c'est la banalisation de la conduite sans permis, parce que les conducteurs sont découragés par une répression sévère, ainsi que par la complexité et le coût des recours juridiques.
L'aménagement que je propose n'est pas contradictoire avec l'esprit du texte que nous examinons, bien au contraire ! La réduction des délais répond à l'objectif que notre gouvernement s'est fixé, à savoir une diminution des cas tant de conduite sans permis que de trafic de points, de plus en plus courant.
Mais cette politique affecte aussi les auteurs d'infractions légères.
Il faut distinguer deux groupes de notions dans ces affirmations.
i. L'affirmation du risque faible induit par les « petites infractions» est erronée. J'ai analysé en détail l'absence de validité de cette affirmation largement utilisée par l'ex rédacteur en chef de la rubrique enquêtes du Nouvel Observateur, Airy Routier, dans son livre « La France sans permis », publié en 2007. Mon argumentaire a été publié dans un chapitre d'un livre : « La violence routière - des mensonges qui tuent », publié dans une collection scientifique (Sciences du risque et du danger aux éditions Lavoisier). Il est facile de se reporter aux documents publiés sur le site internet www.securite-routiere.org .Le nombre de blessés, de tués, d'accidentés sur les routes dû au comportement des usagers dépend du niveau de prise de risque adopté par chacun d'entre eux à un moment de sa conduite et du nombre d'usagers se situant à un niveau de risque donné. Si de nombreux usagers commettent de petits excès de vitesse, le nombre de victimes peut être accru dans de plus grandes proportions que par un nombre faible d'auteurs de très grands excès de vitesse. Cette affirmation est à la base de toute l'épidémiologie, que ce soit sur les routes ou ailleurs. Le succès de la politique initiée en 2002 est en grande partie attribuable au choix de ne plus tolérer les faibles excès de vitesse. L'exemple du téléphone au volant est également une bonne illustration de ce défaut de culture des auteurs de l'amendement. Un risque multiplié par un facteur 3 peut paraître faible, mais si des millions de conducteurs acceptent de conduire en téléphonant, même rarement, ce comportement tue plusieurs centaines d'usagers. C'est la situation que nous connaissons actuellement. Ces morts ne sont pas des petites morts.
- Le second groupe d'arguments concerne l'efficacité de la dissuasion par un dispositif de sanctions et des principes du permis à points. Le législateur a créé le permis à points pour compléter le dispositif de contrôle et de sanctions en tenant compte de la récidive. Il s'agissait là d'une démarche connue dans le domaine du droit pénal. La relégation a été la forme majeure de ce type de sanction, en emprisonnant définitivement celui qui avait commis de multiples infractions. Elle a été finalement abandonnée, la condamnation avec sursis tentant d'exercer de façon plus douce cette dissuasion de la récidive.
Avant la création du permis à points, le juge avait la possibilité d'annuler un permis de conduire pour une période définie. Il s'agissait le plus souvent de sanctionner une infraction très grave ayant provoqué un accident. Cette possibilité existe toujours et elle est largement utilisée par les juges. La multiplication des infractions, en l'absence d'accidents, posait un problème particulier. Il indiquait une absence de volonté de respecter les règles et exposait les autres usagers à un risque accru. Il était donc fondé que le législateur tente de combler une lacune de notre droit et institue un dispositif d'enregistrement des infractions, avec des coefficients variables en fonction de la gravité de la faute, se terminant par une suppression temporaire du permis de conduire au-delà d'un certain seuil.
Ce dispositif, dit du permis à points, a été mis en œuvre dans la plupart des pays industrialisés, avec des modalités variables, tant en ce qui concerne le barème des points retirés pour une infraction donnée, que le nombre total de points accordés initialement, le délai avant de pouvoir représenter le permis et le délai avant de récupérer des points ou la totalité de ces derniers. L'Union européenne a laissé ce domaine dans le champ du droit national. Il est cependant possible de faire des comparaisons et de constater que la France a une position moyenne dans ce domaine du permis à points, elle n'est ni la plus sévère, ni la plus permissive.
Après un conflit initial provoqué par les chauffeurs routiers qui craignaient de perdre leur possibilité de travailler, compte tenu de l'importance de leur exposition au risque, le permis à points est entré dans les mœurs. Le nombre de points supprimés était compris entre trois et quatre millions par an entre 1996 et 2002. Le nombre de points de permis retirés et de permis supprimés a augmenté à partir de la fin 2002, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin ayant défini une politique de sécurité routière plus efficace que celle du précédent gouvernement (2,2 % de réduction de la mortalité de mai 1997 à mai 2002 et 42,7 % de mai 2002 à mai 2007. Les décisions qui ont accru la perte de points ont été :
- La décision d'interdire les interruptions abusives de procédures après constatation d'infractions mettant en cause la sécurité. Qualifié « d'indulgences », ce véritable trafic d'influence, dans lequel se compromettaient de nombreux parlementaires, supprimait l'égalité devant la loi et l'efficacité de la dissuasion par la sanction,
- La suppression des « tolérances » sur les excès de vitesse qui étaient une autre façon de réduire l'efficacité de la réglementation. Les excès de vitesse faibles et moyens n'étaient plus sanctionnés par des forces de l'ordre dépassées par le caractère massif de ces infractions.
- la mise en œuvre à partir de novembre 2003 des radars automatiques qui étaient des outils adaptés à une délinquance de masse, à une surveillance 24 heures sur 24 et à une réduction des travaux de secrétariat induits par les infractions.
Des documents établis par le ministère de l'intérieur et l'ONISR établissent la relation entre les points retirés, les permis supprimés et l'accidentalité ou la mortalité routière, mais également le mécanisme de cette relation, ce qui est beaucoup plus intéressant pour la compréhension du phénomène, la comparaison de deux valeurs de natures différentes étant toujours suspecte de ne pas exprimer une causalité. L'Observatoire interministériel des vitesses, dépendant de l'ONISR, fait mesurer chaque quadrimestre les vitesses de circulation sur les différents types de réseau. Les mesures ne sont pas faites par les policiers et les gendarmes lors de contrôles visibles. Elles sont effectuées par une structure indépendante avec une méthode assurant la représentativité des valeurs. Ces mesures ont documenté la réduction des vitesses moyennes ; l'évolution comparée de la vitesse et de l'accidentalité correspond aux valeurs observées et décrites par des accidentologistes depuis de nombreuses années. Une réduction de 1% de la vitesse moyenne de circulation réduit d'environ 4% la mortalité (voir « La sécurité routière » de Jean Chapelon - éditions Lavoisier ». La vitesse moyenne des voitures particulières a été réduite de 10% dans les années qui ont suivi les réformes de 2002.
Deux graphiques illustrent ces faits, l'un concernant l'évolution des retraits de points, l'autre l'évolution de la vitesse moyenne, en comparant dans les deux cas l'évolution de la mortalité. Ces faits documentés, commentés depuis plusieurs années au niveau français, européen ou mondial comme le succès exceptionnel de la politique de sécurité routière, ne sont pas contestés dans les documents produits par le Sénat. A l'opposé, les auteurs de l'amendement adopté sont dans une position qui est en totale contradiction avec ces résultats qu'ils reconnaissent tout en proposant d'affaiblir le dispositif qui les a obtenus.
Face à un tel constat d'efficacité, dont le mécanisme n'est contesté par aucun observateur qualifié de la sécurité routière, envisager de réduire une dissuasion redevenue crédible relève de l'irresponsabilité dans un domaine majeur de la sécurité sanitaire. Il convient donc d'aller au-delà de la description de faits erronés et de l'incohérence des objectifs retenus en analysant les conditions de présentation et d'adoption d'un tel amendement.
2. Le contexte
a. Dans quelles conditions a-t-il été adopté ?
La démarche politique analysée réunit tous les défauts qui caractérisent une initiative parlementaire sur un sujet technique, développée sans la moindre référence aux connaissances scientifiques et à la réalité des faits. Des sénateurs entraînent un nombre important de leurs collègues dans un mauvais combat, sans travail en amont analysant le bien fondé des objectifs et l'efficacité possible de la mesure proposée. Lors du débat de 2009 sur la proposition de loi About qui avait le même objectif : réduire les contraintes produites sur les usagers, le travail du Sénat avait été différent. La sénatrice qui avait rédigé le rapport, Madame Catherine Troendle, avait produit une analyse précise et de qualité. La proposition avait été rejetée à une large majorité. La différence entre de bonnes et de mauvaises pratiques parlementaires est évidente quand on analyse les deux procédures.
b. Quelles sont les caractéristiques de l'action du Sénat destinée à affaiblir les contraintes exercées par le permis à points sur les usagers ?
Il ne s'agit pas d'une démarche de « sécurité routière » entrant dans le cadre de la LOPPSI 2, mais à l'opposé de l'exploitation opportuniste et clientéliste de cette loi afin de modifier une disposition essentielle du permis à points qui joue un rôle clé pour dissuader de commettre des infractions.
Cet amendement n'est pas une surprise, depuis que les réformes de décembre 2002 ont transformé la crédibilité de l'application du code de la route (fin des indulgences, faibles tolérances sur les excès de vitesse, puis usage de moyens automatisés de contrôle), des groupes d'usagers ont entrepris de s'opposer à l'application stricte des règles. Il s'agit souvent de gros utilisateurs de leurs véhicules, à l'emploi du temps contraignant et occupant une position sociale qui leur assurait dans le passé une part d'impunité. De nombreux politiques font à l'évidence partie de ce groupe, ils défendent leur permis ou celui de leur chauffeur. Ils n'ont plus à leur disposition, à l'Assemblée et au Sénat, de fonctionnaires qui ne faisaient qu'acheminer les demandes d'indulgences pour effacer leurs infractions par une forme de trafic d'influence. Les journalistes de la presse automobile spécialisée, ou ceux qui tiennent la rubrique automobile dans la presse généraliste, font également partie de ce groupe d'influence. Des notables locaux, incluant les médecins, sont également redevenus des citoyens ordinaires dans un Etat de droit qui a eu le courage en 2002 de rétablir l'équité dans l'application des règles (circulaire de décembre 2002).
Les conflits d'intérêts sont donc évidents dans un tel domaine, ceux qui militent pour modifier les règles sont souvent concernés par les pertes de points et l'éventuelle perte de leur permis. Ils sont capables d'entrainer leurs collègues, voire de les inciter à être les auteurs de démarches correspondant à leurs objectifs personnels, en utilisant des arguments qui ne résistent pas à l'analyse.
Ce groupe des opposants à la forme actuelle du permis à points a une autre caractéristique très importante, il est spécialisé dans l'accidentologie de café du commerce. Les conducteurs aiment se considérer comme des connaisseurs des mécanismes d'accidents. Ils se pardonnent leurs petites infractions en estimant qu'elles ne sont pas dangereuses et méritent la clémence. Ils oublient que le terme d'accidentologie a été inventé en France en 1968 par des chercheurs de l'organisme national de sécurité routière pour désigner une discipline scientifique naissante qui a construit la connaissance fine de l'insécurité routière. Elle a contribué à améliorer les véhicules, les routes et l'ensemble du dispositif d'éducation, de formation et de contraintes qui ont divisé par quatre la mortalité routière depuis 1973, alors que le trafic s'est fortement accru. L'amendement du Sénat a été adopté sans la moindre consultation d'accidentologistes ou d'associations agissant dans le domaine de la sécurité routière. Il s'agit d'un « coup » politique qui n'a rien à voir avec une démarche rationnelle reposant sur les connaissances et les références sociétales. Il fallait surprendre et éviter que le Sénat ne prenne conscience de l'ampleur des dommages provoqués par cet amendement, à la fois pour l'image de l'institution et pour la sécurité routière. En votant un texte qui a les mêmes finalités que celui qu'il avait rejeté à une large majorité il y a un an (réduire les contraintes du permis à points), le Sénat se ridiculise.
Ceux qui rencontrent depuis de longues années ces adversaires réels de la sécurité routière connaissent bien leurs conflits d'intérêts. Un avocat brillant comme Eric de Caumont défend les usagers devant les tribunaux administratifs et exploite des erreurs ou des insuffisances de forme pour obtenir la récupération de points et souvent du permis de conduire annulé. Il raconte souvent hors antenne ses aventures avec son permis de conduire et sa tendance à la conduite rapide. Quand l'ex rédacteur en chef de la rubrique enquêtes du Nouvel Observateur, Airy Routier, a publié en 2007 son livre « La France sans permis », cet ancien essayeur de voitures avait perdu son permis faute de points et s'était retrouvé en garde à vue pour avoir continué à conduire. Son livre était une accumulation impressionnante de mensonges et de manipulations des faits. Quand j'ai analysé cette désinformation massive dans un livre : « La violence routière - des mensonges qui tuent », Airy Routier a porté plainte pour diffamation. J'ai réuni plus d'une centaine de documents pour établir les modalités de sa destruction de la réalité des faits et le tribunal m'a relaxé avec un jugement particulièrement détaillé et très dur pour un journaliste puisqu'il indiquait que : « le prévenu pouvait affirmer comme il l'a fait que les erreurs factuelles et de raisonnement qu'il dénonçait relevaient d'une volonté délibérée de l'auteur de travestir la vérité et de tromper le lecteur ». Airy Routier n'a pas fait appel de ce jugement.
Les groupes de pression qui se sont spécialisés dans le combat pour l'affaiblissement du permis à points sont également coutumiers de ces formes graves de la désinformation. L'association 40 millions d'automobilistes estimait en 2009 à 25 millions le nombre d'infractions sanctionnées en 2012 quand tous les radars seront installés, en partant du principe que les 5 000 radars installés à terme enregistreront chacun 5 000 infractions par an et relèveront donc ensemble 25 000 000 d'infractions par an. Ce pronostic destiné à effrayer les usagers était absurde, l'augmentation du nombre des radars étant plus que compensée par la baisse du nombre d'infractions constatées par radar. Les évaluations faites par l'ONISR évaluent à un nombre proche de 7 millions les infractions sanctionnées pour excès de vitesse en 2012. Les constats actuels valident cette évaluation et montrent que les « modélisations » de 40 millions d'automobilistes ont pour but de faire croire que le dispositif du permis à points va « exploser ».
L'élément le plus surprenant dans cette forme de combat de société entre la réduction des risques et la volonté d'avoir l'attitude que l'on estime acceptable et non l'attitude prescrite par les codes est l'absence d'investissement des pouvoirs publics dans la lutte contre la désinformation dans ce domaine. Il y a une structure interministérielle de sécurité routière. Elle présente des campagnes qui expliquent aux automobilistes ce qu'il convient de faire, l'importance du respect des règles, mais elle semble totalement incapable de lutter contre les mensonges évidents utilisés par ceux qui ont pour premier objectif de neutraliser la loi.
Nous ne sommes pas dans un débat objectif, nous sommes dans la manipulation des faits et la propagande. La « psychologie des foules » a été publiée en 1895 par Gustave le Bon et « Propaganda » en 1923 par le neveu de Freud, Edouard Bernays. Ces descripteurs des principes de la manipulation des groupes, qui avaient un profond mépris pour la démocratie, semblent inconnus des responsables de la sécurité routière. Ils n'osent pas affirmer publiquement de façon personnalisée que tel journaliste ou tel parlementaire ment ou se trompe. On ne peut s'opposer aux pratiques destructrices d'une propagande mensongère que par une diffusion de démentis immédiats quand un déni de réalité apparaît dans les médias. Il faut également produire des sondages qui évitent les questions orientées parfaitement maîtrisées par les désinformateurs. Il faut enfin promouvoir les excellents résultats de la politique de 2002 en expliquant ses mécanismes, cela n'est pas fait. Quand on verra à la télévision, à des heures de grande écoute, les graphiques superposés de la perte de points de permis depuis la création du dispositif, de l'évolution de la vitesse de circulation, de celle de la mortalité routière, des handicaps par accident de la route et des primes d'assurance, ceux qui ont en charge la sécurité routière auront fait leur travail et auront convaincu les usagers que le permis à point est une contrainte socialement acceptable et efficace
Il est incohérent d'affirmer que « Sanctionner est une chose, mais que la sanction entraîne des conséquences néfastes pour le conducteur n'a ni intérêt ni sens sur le plan de la répression » et de maintenir une politique pénale de prévention par la crainte de la sanction. Toutes les sanctions pénales, allant de l'amende à l'emprisonnement, ont des conséquences sur ceux qui ont commis une faute et c'est la crainte de ces conséquences qui va assurer la prévention. Quand une infraction entraîne une sanction, le pouvoir de dissuasion, donc la prévention, est d'autant plus efficace que la personne concernée est insérée socialement et souhaite poursuivre une vie normale. Tous les pénalistes savent que la dissuasion est réduite dans d'autres domaines de la criminalité, par exemple les crimes sexuels, ou le grand banditisme. Tous les conducteurs commettent de minimes infractions au code de la route. Par sa nature, le permis à points est un dispositif de sursis qui conditionne la perte temporaire du droit de conduire à la répétition des infractions. Il est le protecteur du conducteur qui transgresse rarement le code de la route, ce qui le rend particulièrement adapté au contrôle de cette délinquance très particulière, où de très nombreuses infractions, petites ou grandes, tuent quatre mille personnes, alors que les homicides volontaires sont toujours proches d'un millier chaque année en France, avec une stabilité remarquable depuis des décennies.
Conclusions
L'attitude du Sénat contribue à la dévalorisation de l'image du politique, ce qui est un risque majeur dans une démocratie. Il est inacceptable d'atteindre de tels niveaux de manipulation de la réalité pour satisfaire un groupe minoritaire d'automobilistes qui se juge capable de conduire sans respecter les règles. Il faut que la Commission de l'Assemblée Nationale entende les accidentologistes et les associations avant de débattre de cet amendement. Elle doit prendre en considération le constat qu'une diminution de 4% de la mortalité est obtenue par une réduction de seulement 1% de la vitesse moyenne. Cette connaissance détruit à elle seule l'argumentaire des sénateurs. C'est le contrôle strict des petits excès de vitesse qui a assuré le succès de la politique de sécurité routière de 2002.
Tant que les constructeurs produiront des véhicules dotés de performances qui poussent à la faute, tant que ces véhicules ne seront pas équipés de dispositifs de type LAVIA qui limitent automatiquement la vitesse maximale à la valeur autorisée localement, le contrôle et les sanctions assurent la sécurité sur les routes en faisant respecter les limites de vitesse. Le Gouvernement et le président de la République doivent rappeler à la raison la majorité dont ils disposent. Leur crédibilité est en jeu dans un domaine qui demeure la première cause de mortalité des jeunes adultes. Ils ne peuvent accepter qu'une loi destinée à accroître la sécurité soit détournée de ses objectifs et se transforme en occasion de la réduire par pure démagogie. L'objectif annoncé par le président de la République d'une réduction à 3000 de la mortalité routière en 2012 ne sera pas atteint en affaiblissant le dispositif qui nous a fait passer de 8000 à un peu plus de 4000 tués.-